Transparents/Pas transparents
Invitation lancée pour La Grande Lessive®du 16 octobre 2014
« Transparents » signifie que la lumière passe au travers. Le synonyme est « diaphanes ».
« Pas transparents » revient à arrêter la lumière et, en conséquence, à être « opaques ».
Le plus souvent « transparents » et « pas transparents » caractérisent un matériau. Le premier semble alors s’opposer à l’autre au point de devenir son contraire. Existerait-il un état intermédiaire ? La « semi transparence », par exemple, est-elle concevable autrement que dans le cas de pierres précieuses ?
En apparence opposé, les deux caractères peuvent toutefois se combiner au sein d’une même réalisation afin d’accentuer l’effet produit sur notre perception par l’un comme par l’autre. Une telle confrontation présente d’ailleurs un intérêt majeur pour la pratique plastique puisqu’elle invite à explorer les possibilités esthétiques et expressives offertes par le fait d’être « transparents » ou « pas transparents », en prenant aussi bien en considération les qualités de chacun, qu’en tirant parti de leurs différences.
Pour voir la vidéo : www.youtube.com/embed/-u5Q94e2tI0″ frameborder= »0″ allowfullscreen></iframe>
Jouer avec la lumière pour la laisser filtrer, la stopper, la renvoyer, la colorer… seront ainsi des modalités envisageables dans le cadre de cette Grande Lessive®.
La conception des réalisations pourra dès lors explorer cette approche plastique et formelle qui utilise des formes, des couleurs, des matières (carton, papier calque, aluminium, matière plastique transparente ou semi transparente colorée ou non, etc.) et des actions (trouer, lacérer, incruster, tresser, superposer…). Suivant les opérations choisies, il sera préférable de travailler sur un papier plus ou moins rigide.
Chaque réalisation suspendue à un fil donnera à voir « à travers elle » grâce à un cadre unique ou à de multiples trouées transparentes ménagées dans la surface A4 du support. En plus de la lumière qui habitera la réalisation, l’arrière-plan s’intégrera de la sorte au plan de la feuille suspendue à un fil, et interviendra également dans le hors champ de celle-ci : on regardera à la fois la feuille et ce qui l’entoure, comme ce qui est derrière elle. Des reflets et des lumières colorés pourront également apparaître sur le sol, sur des objets ou sur des personnes présentes. Les réalisations pourront même être conçues à cette fin tel un dispositif capable de capter et de renvoyer la lumière.
« Transparents » pourra également se traduire par des couleurs transparentes passées sur un support. Des encres laisseront alors deviner un dessin au-dessous ; une couleur très diluée pourra couler… Leur légèreté et leur luminosité parviendront alors à créer la sensation d’un filtre ou celle d’un écran placés entre celui qui regarde et ce qui est à voir.
Une fois encore, le caché et le montré entreront en jeu, tout comme le feront le champ et le hors-champ, le cadrage, la couleur, la texture…
Au sens figuré, « transparents » veut dire ce qui est « très clairs ». C’est par exemple ce qui est connu de tous, sans surprise, évident. Mais il s’agit aussi d’une pratique sociale qui consiste à ne pas voir certains faits ou certaines personnes de manière inconsciente ou délibérée. Il arrive parfois que nous ayons nous-mêmes le sentiment d’« être transparents », et c’est alors si nous étions dépourvus d’existence puisque notre présence n’est pas remarquée par autrui. Dans certains cas, on parle d’« invisibles » : il y aurait de la sorte dans nos sociétés des êtres invisibles, tandis que d’autres seraient « surexposés ».
« Transparents » « pas transparents » interroge ainsi la place de chacun dans la société, de même que le rapport à l’identité et à l’altérité.
Dans cette perspective sociale, « pas transparents » revient parfois à être opaques. Ce manque de clarté rend « incompréhensible » un fait, une situation, un problème, une personne… L’« absence de transparence » s’assimile au « secret » et à une part cachée de manière délibérée, quand il ne s’agit pas de qualifier ce qui – à nos yeux – demeure une énigme.
C’est au pluriel que s’écrivent ces deux adjectifs. Pourquoi ? Sans doute y a-t-il, comme dans l’une des précédentes invitations à ne faire « que les couleurs du monde », le projet de donner à penser sa pratique. Les sens propres et les sens figurés offrent l’opportunité de trouver une voie personnelle afin de ne pas dupliquer un modèle et de ne pas faire « à la manière de… ». Le pluriel est là. Il est aussi dans la possibilité de disposer une certaine profondeur ou plusieurs lectures au sein d’une seule réalisation. Le pluriel signifie également que, comme à chaque fois, les réalisations nous regardent parce qu’elles parlent de nous.
Pour qu’il ne s’agisse pas de banales réalisations suspendues à des fils, mais d’éléments composant une œuvre commune, il est nécessaire de doter chacune d’entre elles d’une signification. Que l’on soit petit ou grand, artiste ou non, il y a ainsi à définir ce que l’on fait en imaginant que ce qui sera exposé le sera avec d’autres réalisations conçues à partir de la même invitation. C’est en réalité une réflexion commune qui s’élabore à l’aide de dessins, de peintures, de photographies, de collages… et c’est cette démarche partagée – et elle seule – qui fera l’œuvre.
Chaque Grande Lessive® étant éphémère et chaque étendage différent des autres, en conserver des traces est utile. Dans cette perspective, il sera possible de jouer sur place avec la lumière et les ombres, avec les plans situés devant ou derrière afin de photographier les effets lumineux, le champ et le hors-champ, ainsi que les interférences avec les personnes présentes. Ces images composeront un prolongement de l’accrochage, un point de vue sur l’installation éphémère et un témoignage qui fera partager ce qui a été conçu.
Les photographies prises lors de l’étendage font partie de l’engagement pris lors de l’inscription à La Grande Lessive®. En effet, chaque édition comporte plusieurs temps : la préparation, l’étendage, le partage sur le site. En conséquence, « la transparence » se situe également dans l’échange issu des réalisations.
Joëlle Gonthier pour l’équipe de La Grande Lessive® 1er mai 2014